- Anne Paccard, Directrice Générale de la fonderie Paccard : « Le son des cloches, c’est une respiration de l’âme »

Anne Paccard – Maison Paccard © Cie des Médias
Rien ne la destinait à cette vie-là. Née loin des montagnes, formée aux langues et passionnée de musique, Anne Paccard n’imaginait pas un jour mêler le bronze, la foi et le chant. Mais le hasard, ou la providence, comme elle aime le dire, l’a conduite jusqu’à Sevrier, au cœur de la maison Paccard. Depuis, cette femme à la voix douce et décidée fait résonner les cloches comme d’autres dirigent un chœur. Entre tradition familiale et élan créatif, elle incarne un art qui parle au cœur autant qu’à l’oreille.
Vous êtes née en Auvergne, dans une famille qui n’avait rien à voir avec les cloches. Comment êtes-vous arrivée à Sevrier ?
A. P : Je suis née à Vichy en 1973. Mon père était cadre dans la grande distribution, ce qui nous a fait beaucoup bouger. J’ai grandi un peu partout en France, du Var au Finistère. Rien ne me destinait à ce métier, ni à cette région. J’ai fait des études de langues destinées au commerce international, à Nantes. Le frère de Philippe Paccard était logé chez mes parents pour ses études. Nous avons discuté et j’ai appris que sa maman venait d’ouvrir un musée et qu’elle embauchait pour l’été. À ce moment-là, je pensais m’orienter vers guide-interprète. J’ai donc déposé ma candidature et j’ai fait deux mois. Et cela a été une rencontre merveilleuse avec une entreprise et une famille. C’est là que j’ai rencontré Philippe, celui qui allait devenir mon mari… Et qui m’a fait découvrir l’univers Paccard. Je raconte à mes belles-filles et aux jeunes qui travaillent ici, ce que j’ai ressenti la première fois que j’ai plongé dans le lac lors de ma pause. Je suis ressortie devant la Tournette et je me suis dis : « Mais on me paye pour être ici ? » Je suis revenue travailler l’été suivant, en 1994. Et puis en 1995, je me suis mariée !
Vous avez une formation musicale, comment ce lien qui vous a rapprochée de la fonderie est-il né ?
A. P : Je chantais depuis toujours, et j’avais étudié le chant lyrique au conservatoire. Un jour, j’ai participé au congrès mondial des carillonneurs à Chambéry. J’y ai découvert des cloches jouant le concerto d’Aranjuez de Joaquin Rodrigo… J’ai eu un choc ! Je me suis dit : « Cela serait tellement beau de pouvoir chanter avec les cloches. » C’est de là qu’est née plus tard la marque Art Sonora, en 2007. L’idée, c’était de marier le design, la musicalité et l’émotion. Les cloches ne sont plus seulement religieuses ou commémoratives, elles deviennent des instruments.
Vous dites souvent que vous avez « sorti la cloche du clocher ». Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
A. P : Pendant longtemps, les carillons vivaient en hauteur, invisibles, et surtout associés aux églises. Nous avons voulu les remettre au cœur de la cité : places publiques, parcs, événements. Le mariage entre le dessin et la justesse, c’est aussi ça Art Sonora : une sculpture qui s’intègre dans le paysage, et des cloches accordées finement, avec des nuances de jeu. C’est aussi une histoire de rencontres. Celle avec le designer Jean-Marc Bonnard a été décisive. Il savait faire du beau avec nos contraintes techniques : masses, câbles, vibrations… Sans ces dialogues entre métiers, l’œuvre ne naît pas.
Vous dirigez aujourd’hui le musée et la holding familiale. Quelle est votre philosophie ?
A. P : Je crois profondément à la dimension humaine du travail. Mon père me disait toujours : « L’humain, c’est notre matière première ». C’est aussi vrai ici qu’ailleurs. Diriger cette entreprise familiale est une grande chance. Trois de nos cinq fils travaillent aujourd’hui dans l’entreprise. Il y a une continuité, mais chacun y met sa touche. L’important, c’est de transmettre sans figer.
Dans une maison familiale, la tentation « d’assigner » une succession existe. Comment avez-vous fait ?
A. P : Par la liberté. On n’est jamais obligé. Mes enfants ont grandi dans l’atelier, dans les inaugurations, dans les coulées… Si la vocation naît, tant mieux ; sinon, qu’ils fassent leur chemin. L’important, c’est l’envie. Certains sont à l’atelier, au bureau d’études électronique, au commerce en ligne… D’autres tracent une autre route, et c’est très bien ainsi.
Vous citez souvent vos équipes et il y a un guide dont vous parlez avec émotion…
A. P : Oui, Mathieu. Il est Asperger. Ici, c’est sa place. Il a une connaissance folle des cloches, une oreille incroyable, et surtout une passion communicative. Quand il fait sonner, il ne reprend pas la parole tant que la résonance n’a pas fini, et les visiteurs comprennent pourquoi. « On a des commentaires extraordinaires sur ses visites. » L’entreprise, c’est aussi cela : ajuster les postes aux personnes, et laisser les talents fleurir.
La boutique en ligne vous a ouvert des débouchés inattendus ?
A. P : Oui. Grâce au site, on équipe des chapelles lointaines que nous ne pourrions pas visiter. Quand le billet d’avion coûte le prix de la cloche, Internet devient un pont utile. On conseille, on personnalise, on expédie. Et la cloche sonne là-bas.
Vous assumez une muséographie très humaine, pas « full tablette ».
A. P : Oui, car ce que les visiteurs retiennent, c’est la rencontre. Je veux qu’ici on touche, on écoute, on manipule. On travaille à clarifier des panneaux, à rendre la visite plus pédagogique, sans perdre la chaleur des guides. Je tiens à ce que les visites soient incarnées, racontées par ceux qui coulent le métal. Nous organisons des concerts, des coulées publiques, des moments où les cloches deviennent des instruments à part entière. Quand elles résonnent, on sent presque battre le cœur du lieu. Le son des cloches, c’est une respiration de l’âme.

