La fonderie et Piwi

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Par : piwi
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vendredi 02 Août, 2019
Catégorie : Au hasard

La Statue de la Liberté : l’idée française devenue symbole de l’Amérique

La Statue de la Liberté est née dans l’esprit de deux hommes au cours des années 1860 : Édouard René de Laboulaye – admirateur des États-Unis, abolitionniste et républicain convaincu – et son disciple Frédéric Auguste Bartholdi – sculpteur alsacien fasciné par les colosses de l’ancienne Égypte. Ensemble et contre vents et marées, les deux Français ont réussi à imposer leur projet mais il aura fallu plus de vingt ans entre le rêve et sa concrétisation.

Naissance d’une idée
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Frédéric Auguste Bartholdi et Edouard René de Laboulaye, les deux pères de la Statue de la Liberté

L’histoire de la Statue de la Liberté commence lors d’un dîner chez Edouard René de Laboulaye à Versailles en juin 1865. Âgé de 54 ans, Laboulaye est alors un professeur renommé, expert de la politique américaine ; il a aussi été président de l’association pour l’abolition de l’esclavage dans le monde. Ce soir-là, il invite ses collègues et ses amis pour célébrer la fin de la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage qui s’en est suivie. Les convives décident de faire un geste envers les Etats-Unis pour fêter l’événement mais aussi pour exprimer leur douleur après le meurtre d’Abraham Lincoln : le président américain a été assassiné en avril par un déçu de la défaite des sudistes, moins d’une semaine après la fin des combats.

Parmi les invités, un sculpteur est présent : Frédéric Auguste Bartholdi. A 30 ans, ce dernier est originaire de Colmar en Alsace et a réussi à se faire un nom. Aux quatre coins de la France, les maires font appel à lui lorsqu’ils souhaitent ériger la statue d’un héros local sur la place communale. Mais Bartholdi voit bien plus grand : depuis son voyage en Egypte en 1855 et 1856, le sculpteur est revenu fasciné par les colosses de l’Antiquité. Dans un premier temps pourtant, le projet américain reste en suspens et Bartholdi se fait la main sur un autre dessein : une statue monumentale qui devait camper sur l’entrée sud du canal de Suez alors en construction par Ferdinand de Lesseps.

De l’Egypte à l’Amérique

Aquarelle du projet de phare de Suez réalisé par Bartholdi.

Ce projet de statue colossale de Suez – qui devait représenter une paysanne arabe – ne vit finalement pas le jour car l’Egypte n’avait pas les moyens de payer. En 1870, le contexte n’est pas plus favorable car la guerre éclate : les Prussiens annexent la ville natale de Bartholdi – Colmar – ainsi que l’Alsace-Moselle. Exilé en son pays, le sculpteur ne se reconnaît pas dans l’alternative politique de l’époque : la France sort de vingt ans de régime autoritaire sous Napoléon III et la chute du Second Empire laisse la place au chaos. La Commune face aux Versaillais : deux modèles étrangers à Bartholdi et Laboulaye, républicains modérés qui voient les Etats-Unis comme un modèle de liberté. Après la répression sanglante de la Commune à Paris, Bartholdi quitte la France et met le cap sur l’Amérique au début de l’été 1871. Sur le bateau lors de la traversée, il emporte ses esquisses de la statue de Suez et la forme change : la paysanne arabe évolue vers un modèle classique de femme gréco-romaine.

“Quand il débarque à New York, il avait presque terminé les nouvelles esquisses de ce qui allait devenir la Statue de la Liberté”, explique Edward Berenson, auteur d’un livre sur le sujet. Arrivé sur place, il trouve très vite l’emplacement idéal : l’île de Bedloe dans la baie face à Manhattan. Pas d’hésitation, c’est là qu’elle se dressera. “Mais il y avait un problème », continue Edward Berenson, « Bartholdi ne parlait pas un mot d’anglais, il ne connaissait personne sur place et avait du mal à convaincre les Américains de s’intéresser à son projet. Une fois sur place, il réussit malgré tout à rencontrer la société locale, aidé par la dirigeante d’un journal francophone qui fait jouer son réseau ». Mais peine perdue, Bartholdi ne persuade pas ses interlocuteurs de mettre la main à la poche et le Français décide de partir à la découverte du pays : “il a fait un périple de plusieurs mois, beaucoup plus long et important que Tocqueville dans les années 1830. Bartholdi a traversé de nombreux états et était sans doute le Français qui connaissait le mieux les Etats-Unis à l’époque”. Il quitte l’Amérique sans un dollar pour son projet mais n’abandonne pas et lance un appel aux dons à son retour en France.

Les années passent et en 1876, Bartholdi possède assez d’argent pour construire la main et la torche. En bon commercial, il a l’idée (lumineuse) de les présenter au public à Philadelphie pour l’exposition universelle de 1876, marquant le centenaire de la déclaration d’indépendance américaine. “Parmi tous les stands, celui de la statue a été le plus populaire et le plus photographié”, raconte Edward Berenson, “d’autant qu’on pouvait monter à l’intérieur et admirer le paysage du haut de la torche. En plus d’être un bon vendeur, Bartholdi est un entrepreneur efficace qui comprend le pouvoir des médias, et notamment des nouvelles revues illustrées qui font alors leur apparition”. Les dessins de la statue achevée ainsi que les photos de la torche et de la tête rendent le projet populaire et convainquent finalement les Américains de s’intéresser au projet.

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La main et la torche de la Statue de la Liberté lors de l’exposition universelle de Philadelphie en 1876, dix ans avant l’inauguration à New York.• Crédits : – Getty
Malgré tout, la statue est très en retard sur le calendrier initial. Lors du dîner de Laboulaye à Versailles en 1865, l’idée de départ était d’offrir un cadeau aux Etats-Unis pour le centenaire de la révolution américaine de 1776. Mais à la date fatidique, seule la main et la torche sont construites… Le rendez-vous est manqué.

Une statue politique et diplomatique
Toutefois, les deux pères de la statue ne baissent pas les bras car la dynamique est lancée et ne s’arrête pas. Les deux hommes sont déterminés car leur projet n’est pas dénué d’arrière-pensées politiques et diplomatiques : “Les origines de la Statue avaient beaucoup à voir avec la politique intérieure de la France”, révèle Edward Berenson, “le Second Empire est un régime autoritaire mais Laboulaye et Bartholdi sont des libéraux. Or à l’époque, il est difficile de critiquer directement le pouvoir. Le don de la France aux Etats-Unis est une façon indirecte de le faire : en honorant l’Amérique, on honore aussi son régime en souhaitant à la France le même destin politique”.

Mais le geste se veut aussi diplomatique et vise à rappeler l’aide déterminante qu’avait apportée la France aux insurgés pour arracher l’indépendance à la couronne britannique. Or, en 1865, le pays de Victor Hugo n’est plus en odeur de sainteté à Washington : Napoléon III a soutenu les sudistes dans la guerre de Sécession et a tenté de profiter du conflit pour coloniser le Mexique. Dans les années 1860, les Etats-Unis comptent aussi beaucoup d’immigrés allemands et le gouvernement américain se rapproche naturellement de la Prusse. In fine, “la Statue de la Liberté a permis de rapprocher France et Amérique”, estime Edward Berenson, “avec l’avènement de la IIIe République à partir de 1870, les Français pouvaient enfin dire ‘Nous sommes des républiques sœurs’. Les deux pays présentent des formes similaires de gouvernement alors que l’Allemagne devient de plus en plus autoritaire et que l’autre grande puissance, l’Angleterre, n’est pas une république. Cette idée a aidé à convaincre beaucoup d’Américains”.

« La liberté éclairant le monde » : avant sa construction, la Statue était déjà familière dans l’esprit des gens grâce aux revues illustrées, qui faisaient leur apparition à l’époque.
« La liberté éclairant le monde » : avant sa construction, la Statue était déjà familière dans l’esprit des gens grâce aux revues illustrées, qui faisaient leur apparition à l’époque.• Crédits : – Getty
Quel chantier !
Au moment de l’exposition universelle de Philadelphie, le projet de la statue est enfin devenue réaliste. La France s’est relevée économiquement et Bartholdi peut faire appel à la générosité des Français : “Il faut d’ailleurs préciser que la Statue est un cadeau des Français aux Américains et pas de la France à l’Amérique”, insiste Edward Berenson, “car ni le gouvernement français, ni le gouvernement américain n’ont contribué à sa réalisation”. A l’été 1875, Bartholdi réunit des personnalités américaines et françaises dans son atelier parisien et l’affaire démarre : un comité est créé, l’Union franco-américaine, présidé par Laboulaye et une grande campagne de collecte de fonds est lancée, soutenue par les journaux. Fin 1875, 200 000 francs ont été rassemblés, une somme considérable.
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La tête de la Statue de la Liberté sur le Champ de Mars à Paris pendant l’exposition internationale de 1878.

La question de la conception se pose ensuite. Aux dimensions imaginées par Bartholdi, la pierre et le bronze sont inenvisageables, trop lourds. Dans une émission consacrée à la Statue de la Liberté, l’historien Alain Decaux expliquait que Bartholdi se souvient alors d’une visite qu’il avait faite dans le nord de l’Italie et de cette statue de Saint Charles Borromée. L’œuvre, construite au XVIIe siècle en cuivre, mesure 23m sur un piédestal de 12m et tenait à l’aide d’une armature de maçonnerie. Bartholdi choisit aussi le cuivre et réalise un premier modèle de 11m50, le quart de la taille définitive. Mais pour soutenir les feuilles de cuivre, il faut un squelette solide capable de résister aux vents de la baie de New York : un temps associé au projet, l’architecte Eugène Viollet le Duc meurt trop tôt et Gustave Eiffel prend sa suite. Ce dernier n’est pas encore l’homme illustre qu’il deviendra avec sa “tour de 300m” mais l’ingénieur s’est déjà fait un nom ; il a été retenu pour construire l’impressionnant viaduc de Garabit dans le Cantal (construit entre 1880 et 1884). Eiffel choisit le métal : quatre pylônes de fer forgés reliés par un entrecroisement de poutrelles sur un sous-sol de pierre et de ciment. Bartholdi accepte.

En 1877, le comité américain en faveur de la Statue est créé, équivalent du club français. Un an plus tard, la tête est achevée et est exposée à Paris pendant tout l’été : les curieux sont nombreux à monter les 43 marches qui mènent à la couronne. Une loterie nationale est lancée dans la foulée : elle réunit 100 000 souscripteurs avant que le chantier ne soit transféré aux ateliers Gazet Gauthier au 25 avenue de Chazelles dans le 17e arrondissement. La statue monte, dépasse le toit – qu’il faut enlever – et prend sa forme presque définitive au dessus de Paris. Mais le 25 mai 1883, Edouard de Laboulaye meurt avant que son idée ne soit achevée ; Ferdinand de Lesseps lui succède à la tête du comité français.

En 1884, la Statue est montée en intégralité dans les ateliers de Bartholdi au 25 rue de Chazelles à Paris : c’est l’une des attractions touristiques de la capitale de juillet à décembre.
En 1884, la Statue est montée en intégralité dans les ateliers de Bartholdi au 25 rue de Chazelles à Paris : c’est l’une des attractions touristiques de la capitale de juillet à décembre.• Crédits : – Getty
De Paris à New York
Les choses avancent à Paris mais elles traînent à New York. Le déclic est donné par un journaliste, Joseph Pulitzer : immigrant hongrois devenu reporter au New York World, il écrit un article enflammé dans son journal pour soutenir la Statue. En 1883, les Américains commencent à s’émouvoir et à donner pour financer le piédestal, dont la réalisation est à leur charge mais les travaux s’arrêtent, faute de d’argent suffisant. A Paris, la Statue est un succès populaire : ouverte au public de juillet à décembre 1884 dans les ateliers situés à deux pas du parc Monceau, on se bouscule pour monter jusqu’à la torche :

Parmi tous ces visiteurs, un vieux monsieur à barbe blanche vient le 29 novembre avec sa petite fille, Jeanne. C’est Victor Hugo, qui montera l’équivalent de deux étages.
Alain Decaux, historien, extrait du documentaire « Une statue nommée liberté ».

En mai 1885, la Liberté est démontée et rangée dans plus de 200 caisses qui partent de Rouen à bord de “l’Isère” ; le navire vogue vers New York. Bartholdi joue son va-tout : le comité américain, qui n’a pas fini les travaux du piédestal, n’aura plus le choix.

L’Isère arrive le 17 juin devant l’île Bedloe et commence à décharger son précieux chargement. Une fois de plus, Joseph Pulitzer se montre déterminant et publie chaque jour un article dans son journal : au mois d’août, la campagne de presse atteint son but. 100 000 dollars ont été souscrits avec 120 000 donateurs. Le piédestal est achevé : il pèse 28 000 tonnes.

La reconstruction de la Statue commence et en octobre, le dernier rivet est fixé. D’abord réticent, le Congrès américain accepte finalement de financer les quais et une plateforme pour l’inauguration à hauteur de 50 000 dollars. Le grand jour a lieu le 26 octobre 1886 : une parade réunit un million de New yorkais, la ville est pavoisée en bleu blanc rouge, les couleurs de la France et de l’Amérique. « La ville tout entière fut une immense acclamation », écrit le New York World. Et c’est Bartholdi qui dévoile le visage de la Liberté en faisant tomber l’immense drapeau qui la cachait : un moment salué par les coups de canon d’un bateau de guerre et par les sirènes de 300 navire. Au loin à New York, les cloches sonnent.
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La Statue de la Liberté sur l’île Bedloe (qui deviendra Liberty Island en 1956) peu après la construction.• Crédits : – Getty

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