Ce n’est pas encore l’épilogue d’une aventure industrielle et d’un drame social, car le dossier n’est pas clos au tribunal de commerce et reste entre les mains d’un mandataire liquidateur. Mais c’est un moment symboliquement fort. Et notamment difficile à accepter pour les ex-salariés de l’entreprise bolbécaise. Maître Philippe Revol, commissaire-priseur judiciaire, a réalisé mardi, en quelques heures, la vente aux enchères de l’ensemble du matériel des Fonderies du Val Ricard, sur le site de l’ancien fleuron des entreprises locales.
Acheteurs étrangers
Interrogé au préalable sur ce patrimoine par des Anglais qui n’ont finalement pas participé à la vente, Philippe Revol a relevé mardi la présence d’acheteurs « allemands, belges et néerlandais ». Mais aussi d’habitants de la région. Les divers bâtiments dans lesquels la vente a été dispatchée racontent aussi ce passé. Dans le magasin des produits finis, où restaient des pièces uniques, environ 150 plaques de cheminée ont été cédées pour des sommes souvent comprises entre 100 et 200 €. Fabriquées ici, de belle qualité, elles étaient très prisées avant le règne de l’insert. « Celle-ci va parfaitement convenir à mon âtre, elle va prendre vie chez nous ! », se réjouissait René.
D’autres particuliers ont pu emporter des bancs extérieurs, des grilles d’escalier ou de fenêtre. Dans le dépôt ont été vendues des matières récupérables destinées à la refonte (ferraille, fonte, etc.), proposées en lots pesant de 200 kg et jusqu’à 17 tonnes ! Au sein des ateliers, on trouvait des machines, véhicules, chariots élévateurs, ponts, fours… qui ont intéressé des entrepreneurs. Dans un silo, au-dessus de la fonderie, 40 t de sable neuf étaient aussi vendues au plus offrant. À la cantine étaient stockés tables, chaises ou électroménager. Quant au vestiaire, on y voyait encore mardi des tenues de travail.
Les fonds de la vente de ce matériel qui appartenait encore lundi aux Fonderies vont être répartis par le mandataire liquidateur et le tribunal « en fonction des privilèges », explique Maître Revol. Et l’État en sera sûrement l’un des principaux bénéficiaires, peut-être au titre de versements d’impôts ou de TVA restant dus. Quant à la somme totale récoltée, elle n’a pas été révélée.
L’avenir des murs de l’entreprise reste inconnu. Le maire souhaiterait d’abord qu’une étude des sols, sous-sols et bâtiments soit réalisée.
Patrick Hauchard : « Je suis écœuré »
La vente est le symbole d’un gâchis, selon Patrick Hauchard, Lillebonnais de 57 ans et ancien salarié des lieux. « Je suis déconcerté », confie-t-il. Laissant son épouse aller seule à la vente, il veut croire qu’« on aurait pu sauver les fonderies ». Dont la chute a été très brutale, sans période de redressement. « Elles ont été primées n°1 chez Vallourec Tubes à Déville-lès-Rouen l’année dernière », affirme-t-il. Aussi, ces dernières années, des investissements importants avaient été réalisés, telle l’acquisition d’un spectromètre.
Mais c’est aussi la richesse d’une histoire qui rend amer. Dans les années 1980, la société avait pu fabriquer l’unique pièce en fonte du Rafale, avion de combat dernier cri de l’Armée de l’air. Patrick Hauchard, titulaire d’un CAP de mécanicien d’entretien, avait été embauché en 1980, d’abord comme aide mécanicien, parmi 27 salariés. Il est devenu mécanicien, responsable maintenance et responsable technicien. Il a pu voir se succéder les matériels. Comme ce four de fusion des métaux par la combustion de coke qu’on chargeait à la main, « très pénible pour les ouvriers ». Ou l’arrivée de des fours à gaz, avant celle de l’induction : « le top ». « Nous avons travaillé avec l’Allemagne, la Belgique, de grandes entreprises, Exxon, Total… On accueillait les écoles. J’étais le tuteur d’élèves du lycée Coubertin, en stage… », relate-t-il. « Je suis écœuré par cette fermeture si rapide, déconcertante et par la manière dont ça s’est passé pour les salariés. J’ai été désigné délégué du personnel pour la liquidation, mais je n’ai pas pu livrer d’information sur le dossier aux collègues. Le mien n’est pas clos. Concernant les licenciements, je suis le dernier cas et je suis dans les démarches administratives. Je ne suis plus indemnisé depuis le 10 janvier 2018 », ajoute celui qui a rendez-vous le 22 mars aux prud’hommes. « Impossible de tourner la page pour le moment », livre Patrick Hauchard. Resté chez lui mardi, il avait toutefois pu récupérer une trace de 38 ans de carrière : cette fameuse cloche qui tintait à la prise du travail à 8 h le matin et à 13 h 30 l’après-midi.
Guy Leichlé, le dernier gérant de l’entreprise, n’a pu être contacté.
C’est vraiment triste, lorsque qu’une Fonderie est en liquidation judiciaire, les rapaces sont toujours la !