A l’origine de ce Manège, Petit Pierre. Il est né en 1909, frappé du syndrome de Treacher-Collins, une malformation congénitale : il n’avait ni palais ni pavillons d’oreilles. Enfant, il quitte très vite le chemin de l’école, son apparence suscitant moquerie et méchanceté. A quoi bon servir de bouc émissaire à chaque récréation ? Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, Petit Pierre était né sous une bonne étoile. Il avait une famille aimante et protectrice, et sa grande sœur Thérèse lui apprendra à lire et à écrire.
Vivant en pleine campagne, dans le Loiret, ses parents lui proposent de devenir vacher. Petit Pierre sait parler aux animaux, il les aime et en prend soin. Il travaille ainsi dans diverses fermes, retrouvant chaque dimanche ses parents, Thérèse, et Léon son petit frère. Il leur rapporte de petits objets qu’il fabrique à partir de matériaux glanés de-ci de-là : jouets, moulins à vent, bouquets de fleurs en métal.
La mécanique au service des vaches méritantes
En 1935, il est embauché dans une ferme à La Coinche, à une quinzaine de kilomètres de chez lui. Ses compagnons le malmènent sans cesse, se moquant de son handicap et détruisant systématiquement ses maigres biens. Qu’à cela ne tienne, Petit Pierre transporte son lit sur une plateforme qu’il fabrique et à laquelle il accède par une échelle mécanique repliable, se préservant ainsi de la vindicte des autres vachers. Quelques années plus tard, il construit sa première machine : « un système mécanique de distribution de betteraves aux vaches méritantes », tapis roulant actionné à partir d’un pédalier de vélo. Admiratif de ce vacher si ingénieux, son patron, le bienveillant monsieur Hareng, lui offre un lopin de terre pour y vivre en paix et y exercer son art. C’est ainsi que le Manège de Petit Pierre prend forme, s’agrémentant, au fil des ans, de nouveautés : son frère Léon, devenu ingénieur en aéronautique, l’emmène sur ses chantiers de construction et dans les grandes capitales européennes. Ces voyages fournissent naturellement une inépuisable source d’inspiration à Petit Pierre pour embellir ses créations.
Extrait d’une planche de « Petit Pierre, la mécanique des rêves » de Florence Lebonvallet et Daniel Casanave (Casterman, 2019)
Un lieu de fête et de partage
Le bouche à oreille fonctionne. Désormais, les visiteurs viennent de toute la région pour découvrir ce lieu unique. Petit Pierre, sans le vouloir, est devenu une célébrité, et son Manège un endroit festif qui enchante les dimanches campagnards. On y boit et on y danse au son d’un vieux tourne-disque, ou accompagné des notes endiablées de la guimbarde de Petit Pierre. Hélas, en 1974, les belles heures du Manège se grippent. Victime d’une crise d’hémiplégie, Petit Pierre doit se retirer en maison de repos. Cependant, tous les dimanches, un taxi le dépose à La Coinche où il continue d’accueillir les visiteurs dans son Manège. C’est en 1980 que le grand public le découvre grâce au film d’Emmanuel Clot,
Petit Pierre, qui reçoit le César du meilleur court-métrage documentaire : « La première fois que j’ai vu ce petit homme de 70 ans avec son visage torturé devant ce Manège qui est l’œuvre de sa vie, j’ai eu un choc… il fallait que j’en fasse un film. C’est maintenant l’être au monde que j’aime le plus, car il a su communiquer avec une société qui le rejetait. », explique-t-il dans une interview accordée au Matin de Paris, en février 1980.*
Un air de musique avant la sortie• Crédits : La Fabuloserie
Le « Manège » doit continuer de tourner !
Il était temps que le Manège se fasse connaître au-delà du Loiret. Petit Pierre commence à vieillir et il lui devient difficile d’entretenir une telle mécanique. Pire encore, son créateur étant moins présent à La Coinche, le Manège commence à être vandalisé et pillé. Une association de sauvegarde est créée ; la Région et le ministère de la Culture sont alertés. Plusieurs projets voient le jour, comme celui de mettre le Manège sous une grande verrière ou de le délocaliser dans le parc de la Villette à Paris. Hélas, trop cher… Mais rappelez-vous, Petit Pierre est née sous une bonne étoile. Elle s’incarnera cette fois-ci en la personne d’Alain Bourbonnais, architecte et collectionneur d’art brut qui a créé avec son épouse Caroline,
La Fabuloserie, à Dicy dans l’Yonne. Il offre son aide à Petit Pierre. Courant 1987, avec son accord et celui de sa famille, le Manège est ainsi démonté pièce à pièce, classé, répertorié, puis patiemment remonté par Caroline Bourbonnais et ses amis, Alain Bourbonnais étant prématurément décédé. Le 26 août 1989, le Manège est inauguré à La Fabuloserie, sans la présence de Petit Pierre trop fatigué pour se déplacer. Il meurt en 1992, sans l’avoir revu. Mais trente ans plus tard, le Manège fonctionne toujours. En 2019, Agnès et Sophie Bourbonnais, les filles d’Alain et Caroline organisent une exposition pour raconter l’incroyable destin de Petit Pierre. Le jour du vernissage, tous les enfants de Léon Avezard sont présents, dont une certaine Nicole Avezard, docteure en mécanique des fluides, plus connue sous le nom de Lucienne Beaujon du duo des « Vamps ».
Facétie et ingéniosité, deux caractéristiques de la famille Avezard.
Pierre Avezard, dit aussi « Petit Pierre », né le 30 décembre 1909 à Vienne-en-Val (Loiret) et mort le 24 juillet 1992 à Jargeau (Loiret), est un créateur français d’art brut.
Infirme et autodidacte, il est auteur du « manège de Petit Pierre », exposé à La Fabuloserie à Dicy dans l’Yonne. Il vécut toute sa vie dans le village de Fay-aux-Loges.
Sourd et malvoyant de naissance (du fait du syndrome de Franceschetti-Klein ou Treacher Collins), Pierre Avezard exerce des activités de vacher et de bûcheron dans des fermes de Fay-aux-Loges dans le Loiret. En 1937 (à 28 ans), il commence la réalisation de son œuvre la plus connue, le « manège de Petit Pierre » à la Coinche, la ferme où il s’installe définitivement.
Son frère étant ingénieur en aéronautique, il l’emmène régulièrement visiter des villes européennes où Petit Pierre puisera une partie de son inspiration, donnant par exemple, sa Tour Eiffel de 23 m de haut, le Moulin-Rouge, ou encore une corrida.
Son manège inclut un système de pilotage et est actionné par un petit moteur électrique dont la force motrice est utilisée dans différentes scènes du manège, grâce à un système de courroies. Petit Pierre est parfois représenté dans les scènes ; par exemple dans la scène du bal du village, où Petit Pierre danse avec sa vache préférée, plutôt qu’avec ses semblables qui ne veulent pas danser avec lui.
Pour aller plus loin :
Poétique mécanique, le Manège de Petit Pierre de Jean-Michel Zazzi. Film réalisé en 2007. Parc du Musée de La Fabuloserie dans l’Yonne (6’45)
Petit Pierre et son Manège, film de famille tourné en super 8 en 1977 à La Coinche. On y voit Petit Pierre et son frère Léon (5’03)
La Fabuloserie, où se trouve aujourd’hui le Manège de Petit Pierre se situe à à Dicy, dans l’Yonne. L’exposition « Petit Pierre » y est toujours visible. Plus d’infos sur le site internet : www.fabuloserie.com
Pour découvrir l’univers de Nicole Avezard : www.avezard.com
La chronique « L’encyclopédie pratique des mauvais genres » dans l’émission Mauvais Genres à réécouter ci-dessous est consacrée à La Fabuloserie et au Manège de Petit Pierre (à 5’02) :
Merci Patrick pour Le post sur Petit Pierre
A sa façon Petit Pierre décrit par son œuvre la transition du monde de la terre au monde industriel toujours plus mécanisé, qui se dessinait et s’étendait à tous les pans de la société, dans cette période des trente glorieuses !
Un mélange des musiques de la terre et des musiques mécaniques qui ferraillaient et ferraillent bien plus encore aujourd’hui !
Excepté dans cette période de confinement où la fureur de ces bruits s’est fortement calmée. Mes collègues qui vivent à proximité d’Orly fermé jusqu’en Automne en témoignent…
Tout y est, y compris l’Aérotrain et le Concorde merveilles de technique (& merveille d’échecs commerciaux) que lui a fait découvrir son frère.
Son frère ingénieur aéronautique, un petit peu de son histoire familiale qui nous est rappelée par le texte que tu as posté.
Cette sortie vers ce manège je l’ai fait des dizaines de fois en famille, étant enfant, avec les amis de mes parents, à qui l’on aimait à dire de bien regarder la vache ou le camion des pompiers, afin que Petit Pierre de son œil malicieux puisse déclencher un arrosage ciblé.
Je n’avais jamais vu le film en noir et blanc seulement revu le manège à DICY plusieurs fois, dont celle qui nous avait poussée avec Jean François à choisir ce lieu de visite atypique pour une association tout aussi atypique JFBA
Le film montre bien les facettes du manège, bien Petit Pierre, mais il manque deux choses son œil et son sourire malicieux, et la petite musique de fin.
Musique de fin que Petit Pierre exécutait en travaillant sur plusieurs instruments la guitare métallique, la batterie de cuisine (lessiveuse, couvercle de plats…) le tout relayé par un ampli grésillant façon Petit Pierre.
Apparaissait alors le panneau qui incitait les visiteurs à glisser leurs piécettes dans la tirelire, pour que chacun remette son obole pour récompenser l’artiste sculpteur et musicien du fruit de ce travail fabuleux.
Petit Pierre n’ouvrait la porte mécanique qu’il avait refermé derrière les visiteurs qu’après qu’il ait entendu les espèces sonnantes et trébuchantes tomber dans la tirelire en ferraille.
L’entrée était gratuite pas la sortie, mais chacun donnait ce qu’il voulait ou pouvait donner.
Je ne sais pas pourquoi l’air qu’il jouait toujours le même, bien que peu harmonieux résonne encore dans ma tête, il n’est pas restituable, mais pour ceux qui comme moi en garde le souvenir, c’est un peu comme une Madeleine de Proust.