Piwi (marchand de sable) vendait des galets de quartz en Maurienne pour la fabrication de silicone
Deux scientifiques lyonnais ont mis au point un procédé unique au monde permettant de recycler le silicone par voie chimique. Avec à la clé la possibilité théorique de recycler à l’infini ce polymère produit à partir du quartz.
Par Frank Niedercorn (Correspondant à Bordeaux)
Environ 3 millions de tonnes produites par an pour un marché de 10 milliards d’euros. On trouve des silicones un peu partout : depuis les bonnets de bain, les prothèses mammaires, jusqu’aux lubrifiants, enduits et autres colles. Deux scientifiques lyonnais du laboratoire « Catalyse, Polymérisation, Procédés et Matériaux » (CNRS, Université Claude Bernard de Lyon) viennent de mettre au point un procédé breveté qui permet de recycler par voie chimique n’importe que déchet de silicone. Une première mondiale qui leur vaut de publier leur article dans la prestigieuse revue Science.
Si cette invention constitue une performance scientifique, elle pourrait aussi changer la face de l’industrie en lui permettant de développer le recyclage. La production du silicone est en effet gourmande en énergie . Ce matériau est fabriqué à partir de dioxyde de silicium, autrement dit le quartz, chauffé à 1.800 degrés pour obtenir du silicium pur. Celui-ci réagit ensuite avec du chlorure de méthyle, pour se transformer en chlorosilanes, les molécules présentes dans tous les polymères à base de silicone.
« Notre procédé de recyclage chimique permet de revenir à l’état moléculaire de la matière silicone et d’éviter les deux premières étapes de la production qui sont les plus énergivores. Les estimations montrent que notre procédé éviterait l’émission de 70 % de gaz à effets de serre », résume Vincent Monteil, chercheur au CNRS et co-inventeur du brevet.
Tous les déchets
Face à d’autres approches, notamment le recyclage mécanique, le recyclage chimique consomme un peu plus d’énergie mais est beaucoup plus prometteur. Si bien que d’autres équipes se sont lancées dans la course. « Notre procédé est unique car il permet de travailler avec tous les types de déchets qu’il s’agisse d’huiles ou de produits silicones. En sortie, on obtient des éléments chimiquement purs qui permettent de refaire des matériaux silicones qui peuvent à nouveau être recyclés de façon infinie », assure Jean Raynaud chercheur au CNRS et l’autre co-inventeur.
Le projet notamment financé par Bpifrance a exigé trois années de travail et la collaboration de plusieurs partenaires de la vallée de la chimie à Lyon. Une bonne partie du projet a consisté à optimiser la réaction. « Notre travail a notamment porté sur le catalyseur grâce auquel on obtient une réaction rapide d’une trentaine de minutes et se déroulant à une température modérée de quarante degrés », précise Jean Raynaud.
Après de premiers résultats en laboratoire, un premier passage à l’échelle a été réalisé avec l’aide de la PME lyonnaise Activation qui a pu produire 100 grammes de silicone recyclé. Désormais la balle est dans le camp de l’industrie et notamment du géant Elkem Silicones associé au projet. « C’est une avancée majeure pour notre secteur et le potentiel est très important mais il faudra sans doute quelques années de travail avant une industrialisation à grande échelle », résume Clément Des Courieres, responsable du marché économie circulaire pour les silicones chez Elkem Silicones France qui teste ainsi déjà d’autres procédés de recyclage chimique, moins performants mais plus avancés sur le plan industriel.
Le recyclage se heurte en effet à des problèmes concrets. On pourrait ainsi envisager de recycler indéfiniment des produits fabriqués en silicones comme les moules. En revanche dans la grande majorité des cas, les silicones sont combinés à d’autres produits (papier, textiles, huiles, plastiques…) voir souvent intégrés dans les bâtiments comme pour les joints donc plus délicats à recycler. « Ce serait déjà une belle étape de franchie si une fraction des 500.000 tonnes de silicones produites en Europe provenaient de matériaux recyclés dans un futur proche », explique Clément Des Courieres.
Frank Niedercorn