LES ECHOS
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, critique les « énormes subventions publiques » dont auraient bénéficié les constructeurs de véhicules électriques dans l’empire du Milieu. Les exportations vers l’Europe ont bondi ces derniers mois.
Par Guillaume Guichard, Karl De Meyer
Douche froide pour les constructeurs automobiles chinois, à peine une semaine après qu’ils ont affiché leurs ambitions au plus grand salon européen à Munich. La Commission européenne a annoncé, ce mercredi, avoir ouvert une enquête sur les subventions massives accordées par Pékin à ses constructeurs de véhicules électriques, qui leur permettent de casser les prix sur le marché européen.
« Les marchés mondiaux sont désormais inondés de voitures électriques moins chères . Et leur prix est maintenu artificiellement bas grâce à d’énormes subventions publiques, a déclaré Ursula von der Leyen dans son discours annuel devant le Parlement européen. L’Europe est ouverte à la concurrence. Elle n’est pas favorable à un nivellement par le bas. »
Les services de la Commission européenne travaillent déjà depuis plusieurs mois sur le dossier. La direction du Commerce a recensé plusieurs canaux de subventions, irriguant toute la chaîne de valeur de l’industrie automobile chinoise : les matières premières et leur transformation, la fabrication des batteries, l’assemblage des voitures, les développements logiciels et d’intelligence artificielle.
La Commission n’est pas désarmée
La Commission devrait maintenant échanger avec les autorités de Pékin et les industriels concernés. Elle ne mènera pas cette discussion désarmée. Selon le droit européen, elle peut en théorie appliquer des droits de douane préventifs et temporaires en rétorsion de ces subventions, dans neuf mois. Sanctions qui peuvent devenir définitives à terme.
L’annonce ne surprend guère les acteurs du secteur. « Le fait que Pékin soutient les constructeurs électriques, cela se sait depuis des années, glisse, désabusé un consultant automobile en vue. Dans toutes les études de cas, cela se voit comme le nez au milieu de la figure. » L’industrie automobile chinoise aurait perçu près de 60 milliards de dollars de subventions publiques durant la décennie 2009-2019 (dont des aides à l’achat de véhicules électriques) afin de devenir un champion mondial de la voiture électrique, d’après une étude du CSIS parue en 2020.
Toute la panoplie d’aides publiques serait utilisée, observe-t-on aujourd’hui à Bruxelles. Apports directs de fonds publics aux sous-traitants et constructeurs, prêts et investissements directs à conditions préférentielles, ou encore tarifs subventionnés à l’électricité et régimes fiscaux favorables.
Bras de fer franco-allemand
Si aucune enquête n’a été lancée par le passé, c’est parce que Berlin avait actionné le frein à main sur ce dossier. Les constructeurs allemands sont très exposés au marché chinois. Même s’ils perdent actuellement des parts de marché face à l’offensive des acteurs locaux sur l’électrique, ils ne veulent pas encourir le risque de représailles.
La présidente de la Commission européenne était a contrario sous la pression de la France pour qu’elle ouvre une enquête. En visite à Berlin, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a salué cette « très bonne décision ». Moins enthousiaste, mais tout de même étonnamment positif, son homologue allemand Robert Habeck a estimé que « c’est globalement la bonne attitude. »
Est-ce à cause du succès plus rapide que prévu des constructeurs chinois en Europe (leur part de marché a doublé depuis 2021 dans l’électrique, passant à 8 % et la Commission s’attend à ce qu’elle double à nouveau ces 18 à 24 prochains mois) ? L’Association des constructeurs européens, où les Allemands sont naturellement très influents, a salué mercredi l’ouverture de l’enquête.
« Situation de plus en plus asymétrique »
Cette annonce montre que « la Commission européenne reconnaît la situation de plus en plus asymétrique à laquelle notre industrie est confrontée et se penche en urgence sur les distorsions de concurrence dans notre secteur », a réagi Sigrid de Vries, la directrice générale de l’ACEA, l’association européenne des constructeurs. Dans une déclaration écrite à la presse, l’ACEA souligne toutefois prudemment que « les réactions possibles de la Chine [à cette annonce] doivent aussi être prises en compte ».
« Après cette annonce, anticipent les analystes de Citi dans une note, les constructeurs chinois devraient faire preuve de davantage de prudence dans la fixation de leurs prix et leurs objectifs de volumes de ventes en Europe, ce qui en retour devrait alléger la pression sur les constructeurs européens. »
L’avance des constructeurs chinois
En coulisse, un industriel automobile s’interroge cependant : « La Commission européenne ira-t-elle au bout de sa démarche ? L’Allemagne fera-t-elle en sorte que le dossier s’enlise ? En réponse, Pékin reprochera-t-il à Bruxelles d’avoir autorisé les milliards de subventions pour les gigafactories européennes ? » Et de rappeler qu’outre la question des subventions, les constructeurs de l’empire du Milieu n’ont à s’acquitter que de 10 % de droits de douane pour vendre leurs voitures en Europe, contre 15 % pour les Européens en Chine.
Les ambitions grandissantes des marques chinoises sur le marché européen inquiètent d’autant plus les industriels européens – et surtout français – qu’ils doivent eux-mêmes mener leur coûteuse transition vers l’électrique. Luca de Meo, patron de Renault et président de l’ACEA, l’a reconnu lui-même la semaine dernière, « Pékin a une génération d’avance sur les voitures électriques, sur les batteries ».