Un inconnu du grand public, mais pas une surprise pour les professionnels de l’automobile.
A 52 ans, l’Italien Antonio Filosa est depuis vendredi le nouveau directeur général de Stellantis, six mois après le départ forcé de Carlos Tavares.
Ancien patron de Jeep et fin connaisseur des Amériques, le nouveau boss a pris soin de réserver sa première visite officielle à la France : il s’est rendu à Sochaux, berceau historique de Peugeot.
Tour d’horizon des chantiers en cours pour le troisième constructeur automobile mondial, né de la fusion de PSA et Fiat-Chrysler.
Les premiers pas très diplomatiques en France du nouveau patron italien de Stellantis
Antonio Filosa a réservé sa première visite à la France pour ménager les susceptibilités locales. Il faut aussi avoir des talents de diplomate pour diriger un groupe aux racines à la fois américaines, italiennes et françaises.
La visite est hautement symbolique. Pour prendre la tête d’un groupe comme Stellantis, aux triples racines italienne, française et américaine, il faut en effet avoir un fin sens politique et diplomatique. Le nouveau directeur général de Stellantis, l’Italien Antonio Filosa, a pris soin de faire ses premiers pas avec ses nouveaux habits de directeur général du groupe dans des sites hexagonaux.
Mercredi matin, le Napolitain a visité le site de R&D de Carrières-sous-Poissy, en région parisienne. Puis, l’après-midi, il s’est inscrit dans une longue tradition : comme chaque patron de Peugeot, puis de PSA, il s’est rendu à Sochaux (Doubs), berceau historique des Peugeot. Il devait y visiter l’usine qui produit les SUV 3008 et 5008 de la marque au lion, avant d’arpenter le musée Peugeot. Puis, jusqu’à fin juin, il écumera les différents sites du groupe autour du monde.
Ménager les susceptibilités
En nommant un Italien, le conseil d’administration présidé par le représentant de la famille Agnelli, John Elkann, savait qu’il devait prendre garde à ménager les susceptibilités françaises. Même si elles ont disparu au sein du groupe issu de la fusion entre Fiat-Chrysler et PSA, les rivalités transalpines persistent encore à l’extérieur.
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Le ministre italien de l’Industrie, Adolfo Urso, n’a pas caché sa joie, saluant « un excellent choix ». Son homologue français n’a pas donné suite à la sollicitation des « Echos » pour réagir sur le sujet. La presse italienne savoure une petite revanche. « Un Italien est à la barre », claironne le quotidien économique « Il Sole 24 Ore ».
« Toute l’industrie automobile de nos chers cousins français, enviés, courtisés, critiqués, suspectés, est désormais dirigée par des Italiens [avec Luca de Meo chez Renault, et Antonio Filosa chez Stellantis, NDLR], s’amuse pour sa part l’éditorialiste du « Corriere della Sera », Ferruccio De Bortoli. Mais cette petite satisfaction […] est évidemment gâchée par le fait que l’Etat français est au capital de [Stellantis] et que l’Etat italien n’y est pas. »
Des syndicats partagés
Carlos Tavares, bien que portugais de nationalité, était issu de l’écurie française de PSA (et avant cela, de Renault). Les responsables politiques et syndicaux italiens l’avaient plutôt mal pris, craignant une mainmise française et un certain favoritisme pour les usines hexagonales.
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A leur tour, certains syndicats de ce côté des Alpes s’inquiètent de la nomination d’Antonio Filosa, à l’heure où le sort de certaines usines françaises peut paraître incertain. La CFDT demande ainsi dans un communiqué publié mercredi matin d’être rassurée sur « une répartition équilibrée des activités sur les différentes plaques géographiques ne reléguant pas la France et l’Europe au second plan ».
La CFE-CGC est moins inquiète. « Grâce notamment aux efforts de réduction des surfaces, ainsi que sur la qualité, nos usines françaises sont bien positionnées dans la compétition interne entre sites, relève le délégué syndical central du syndicat des cadres, Laurent Oechsel. Et puis, il faut prendre de la hauteur : nous sommes un groupe international. Comme chez Airbus, le patron ne peut pas toujours être français. »
Le choix de la compétence
Les messages diplomatiques sont également passés de façon subliminale. Ainsi, sur les trois citations de membre du conseil d’administration figurant dans le communiqué de presse, deux sont françaises, Robert Peugeot et Nicolas Dufourcq, dirigeant de Bpifrance. Cela reflète aussi la structure du capital de Stellantis, avec la famille Agnelli (15,97 % du capital), la famille Peugeot (7,967 %) et l’Etat français via Bpifrance (6,69 %).
Certains à Detroit interprètent la nomination d’Antonio Filosa comme une revanche du camp américain, après que les équipes de Detroit ont été malmenées par la précédente équipe dirigeante. Il est difficile de savoir à ce stade quel équilibre des pouvoirs installera le nouveau directeur général. L’Italien ne dévoilera son comité exécutif qu’après le 23 juin, date à laquelle il entrera pleinement en fonction.
Dans l’entourage du constructeur, on souligne qu’avant tout, c’est la compétence qui prime. Et que Stellantis compte d’excellents cadres italiens, américains et français. Ces derniers devraient donc continuer à être représentés au plus haut niveau de l’entreprise. En parallèle, John Elkann a profité de sa période d’intérim pour redonner de la latitude à chacune des trois grandes régions du groupe . Une manière, aussi, de sortir par le haut du débat sur les équilibres nationaux au sein du constructeur.
Guillaume Guichard
Les sept travaux du nouveau patron de Stellantis
Trop grand nombre d’usines et de marques, marges financières abîmées, confiance à renouer avec les marchés… Sur le bureau d’Antonio Filosa, le nouveau directeur général que vient de désigner le groupe automobile, la liste des dossiers urgents est longue.
Sur les six mois qu’a duré la recherche d’un nouveau directeur général, Stellantis n’a pas fait du surplace. Mais le groupe automobile n’a pas résolu non plus, comme par miracle, tous ses problèmes. Sur le bureau d’Antonio Filosa, les dossiers s’accumulent. Charge à lui de présenter rapidement un nouveau plan stratégique, celui de son prédécesseur étant devenu caduc.
« La publication des résultats annuels 2024 de Stellantis a confirmé, si besoin en était, l’étendue du chantier en cours pour le futur directeur général et l’ampleur de la tâche pour 2025, a fortiori dans un environnement qui ne s’annonce pas particulièrement favorable », relevait Michael Foundoukidis, analyse chez Oddo BHF, dans une note récente.
Passage en revue des dossiers urgents et des décisions difficiles qui attendent le nouveau patron.
1. Faire des choix parmi les 14 marques
C’est un débat aussi vieux que Stellantis, né en 2021 de la fusion entre Fiat Chrysler et PSA. Carlos Tavares a supprimé les doublons et sabré profondément dans les coûts, mais il n’a pas touché au portefeuille de marques des deux groupes. Il disait vouloir donner leur chance à chacune.
La stratégie de Stellantis est de développer des plateformes technologiques que le groupe décline ensuite dans toutes les marques. La première du genre, la STLA Medium, a été lancée avec la Peugeot 3008, déclinée sous le logo Opel avec la Grandland, adoptée par DS pour sa berline N°8, par Jeep pour la Compass et bientôt par Alfa Romeo pour remplacer la Giulia sortie en 2016. Grâce aux mutualisations, ces déclinaisons coûtent bien peu à Stellantis, de l’ordre d’une centaine de millions d’euros en dépenses de développement.
Chaque marque a en théorie son marché de prédilection, ce qui justifie aussi leur existence. Est-ce le manque de personnalisation des modèles, le cadencement des lancements des voitures, les hausses de prix et les montées en gamme ? Les marques ont vu leur part de marché décroître depuis la fusion. Quant à la relance de Lancia, avec pour l’instant un seul modèle, l’Ypsilon, elle ne ressemble pas à un succès. Les ventes n’ont pas dépassé les 5.000 exemplaires depuis le début de l’année, en chute libre de 71 % par rapport à la même période l’an dernier. Antonio Filosa devra donc peut-être se séparer de quelques-unes d’entre elles pour rationaliser les coûts. Faudrait-il alors les fermer purement et simplement ?
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Dans ce type d’opération, la tentation serait grande d’en revendre aux Chinois. Certains d’entre eux sont très intéressés, avait glissé Carlos Tavares au printemps 2024. Les nouveaux dragons de l’automobile sont en recherche de marques reconnues en Europe pour conquérir plus facilement des parts de marché, comme l’a fait SAIC avec MG.
2. S’interroger sur la viabilité des usines
En 2024, Stellantis a vu sa production chuter de près d’un million de véhicules, pour moitié en Europe et pour moitié aux Etats-Unis. C’est l’équivalent de la production de quatre usines. Si la production devrait remonter doucement en 2025, il n’en reste pas moins que les sites de Stellantis ne tournent pas à plein.
Le nouveau directeur général va donc très vite devoir s’interroger sur l’« empreinte industrielle » de son groupe. Lors de la fusion entre Fiat Chrysler et PSA, la nouvelle entité exploitait 62 usines. Elle n’en comptait plus que 57 en 2022 et a continué à réduire la voilure, par exemple en fermant le site d’assemblage de véhicules utilitaires de Luton cette année.
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Afin d’éviter d’avoir à fermer des sites dans ses pays d’origine (comme la France et l’Italie) et s’attirer les foudres des politiques, Carlos Tavares les a sévèrement « compactés ». Comprendre : il en a réduit les capacités de production. Mais quel avenir y a-t-il pour certains sites qui ne dépassent pas les 100.000 unités ? « Stellantis traverse une période de réajustement et potentiellement d’adaptation de ses capacités de production pour refléter ses pertes de parts de marché », prévient Philippe Houchois, analyste chez Jefferies.
3. Reconquérir les Etats-Unis…
Regagner le terrain perdu depuis des années sur ses deux principaux marchés, les Etats-Unis et l’Europe : c’est, depuis le début de 2025, la priorité absolue de Stellantis. Aux Etats-Unis, premier marché au niveau de la rentabilité, le groupe a perdu environ 2 points de parts de marché ces dernières années, se laissant dépasser notamment par le duo coréen Hyundai-Kia. « Stellantis est confiant dans le fait que combler les trous dans sa gamme suffira à le ramener au-dessus des 9 % de parts de marché », contre 8 % aujourd’hui, relèvent les analystes d’UBS.
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Encore faut-il que les lancements aient lieu dans les temps et que les nouveaux modèles attirent les clients. Or, prévient Michael Foundoukidis chez Oddo, « les capacités de Stellantis à lancer effectivement comme prévu le SUV Jeep Cherokee au troisième trimestre restent des inconnues majeures qui pourraient peser sur la performance du constructeur ». Les nouveautés ne rencontrent pas non plus toujours le succès espéré. La « muscle car » Dodge Charger électrique semble ainsi ne pas avoir trouvé son public.
4. …et l’Europe
En Europe, les ventes de Stellantis ont frémi ces derniers mois. Le groupe revendique un gain de 0,1 point de part de marché en avril. Cela semble petit, mais c’est déjà beaucoup pour un groupe en perdition depuis 2024. En Europe, l’arrivée de nouveaux modèles dans les très porteurs segments B et C devait soutenir les ventes.
Renforcé par les lancements des nouveaux 3008 et 5008, Peugeot a ainsi regagné un demi-point de part de marché en avril, à 5,2 %. La marque reste toutefois encore à 0,7 point de son niveau d’avril 2023. Un bon point avec la nomination du jour, « Italien née à Naples, Antonio Filosa comprend l’Europe », se félicite Michael Tyndall, analyste chez HSBC.
5. S’adapter aux droits de douane de Donald Trump
La relance de Stellantis a été compliquée par les annonces de la hausse des droits de douane entre les Etats-Unis et ses deux voisins, le Canada et le Mexique. La chaîne de valeur automobile nord-américaine est en effet étroitement imbriquée et les 25 % de taxes à la frontière américaine viennent pénaliser les constructeurs nord-américains. Devant les revirements de Donald Trump en matière de politique commerciale, Stellantis a préféré retirer toute prévision financière pour 2025.
Stellantis produit au Mexique et au Canada environ 30 % des voitures qu’il vend aux Etats-Unis. Mais le groupe international est l’un des mieux placés parmi ses pairs pour s’adapter. En effet, ses usines américaines tournent au ralenti après les importantes pertes de parts de marché du groupe. Leur taux d’utilisation s’élève environ à 50 % environ. Il y a de la place pour y rapatrier de la production canadienne ou mexicaine. Cela nécessite cependant du temps et de l’argent.
6. Restaurer les marges
L’année 2024 aura été celle de la sortie de route, 2025 celle des réparations et 2026 doit être celle du redémarrage. Après trois ans de marge opérationnelle supérieure à 10 %, le groupe a sombré l’an dernier sur fond d’accumulation des stocks aux Etats-Unis et de méventes des deux côtés de l’Atlantique. Sa rentabilité a été plus que divisée par deux. Avec, en particulier, une maigre marge de 1,2 % au second semestre 2024 en Europe.
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L’objectif n’est pas de revenir à une marge « à deux chiffres », l’ambition portée par « Dare Forward », le plan stratégique de Carlos Tavares (en même temps qu’un doublement du chiffre d’affaires d’ici à la fin de la décennie). Au nouveau CEO de redonner un cap clair en la matière. Jefferies ne s’attend qu’à une marge d’environ 5 % en 2025.
7. Reconquérir la confiance des marchés
C’est une des raisons du départ de Carlos Tavares début décembre 2024 : le groupe a perdu la confiance des marchés à l’automne dernier, en lançant un avertissement sur résultat aussi inattendu que brutal. Il y divisait par deux sa prévision de marge pour 2024. En un an, le titre a perdu la moitié de sa valeur en Bourse. Reconstruire la confiance avec les investisseurs devrait prendre du temps.
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Certains analystes doutent des capacités de rebond du groupe. « Les promesses liées aux lancements de nouveaux véhicules ne se sont pas concrétisées en matière de croissance des ventes à cette heure, relèvent les analystes de HSBC. Cela nous amène à nous interroger : les problèmes de Stellantis sont-ils plus structurels que conjoncturels ? »
Largement attendue, la nomination d’Antonio Filosa ne prend personne par surprise. Il n’enthousiasme pas non plus les investisseurs. Au cours de sa carrière, le Napolitain n’a pris la parole devant eux qu’une fois, lors de la journée investisseur l’an dernier, afin de vanter la relance de Jeep, se rappellent les analystes d’UBS. Le cours de Bourse de Stellantis s’affichait en légère baisse à la mi-journée.
Guillaume Guichard