Ici, on ne touche qu’avec les yeux : visite en bus, guide obligatoire, baies vitrées… Impossible de parler aux salariés ou de déambuler dans les hangars d’assemblage des différents modèles. La sécurité est maximale sur ce qui reste avant tout un site industriel, hautement stratégique. Mais le bref aperçu offert suffit à enchanter les touristes, petits et grands, qui couplent généralement la visite avec celle du musée de l’Aéronautique, qui jouxte l’usine.
Ce fleuron de l’industrie française, symbole d’une coopération économique européenne réussie, figure en bonne place dans les guides des tour-opérateurs , aux côtés du Mont Saint-Michel, de la cité de Carcassonne et de la cathédrale Notre-Dame à Paris.
Convois exceptionnels
Le site Airbus est un monument. La plus grande usine de France s’étend sur près de 700 hectares, avec des bâtiments qui entourent les pistes de l’aéroport, à cheval sur les communes de Blagnac, Colomiers et Cornebarrieu (des bureaux sont aussi installés dans le centre de Toulouse). Ils sont environ 23.000 salariés, de 80 nationalités différentes, à travailler sur place.
Nouvelle année record en vue pour l’aéronautique mondiale
L’avionneur européen fait concevoir ses avions dans différents pays : les ailes en Grande-Bretagne , le fuselage central et le cockpit en France (Toulouse, Saint-Nazaire, Nantes), l’empennage horizontal en Allemagne et l’empennage vertical en Espagne. Mais c’est à Blagnac, où siège l’entreprise, que l’assemblage final des A320, A330, A350 et A380 est réalisé (quelques modèles sont assemblés aux Etats-Unis et en Chine).
Les différentes pièces sont acheminées par bateau puis par la route. Il n’est pas rare, la nuit, de croiser les convois exceptionnels Airbus sur les routes de Haute-Garonne, coupées à la circulation pour l’occasion. Certains éléments arrivent aussi par les airs, dans des avions dédiés, les Beluga, facilement reconnaissables avec leur forme de mammifère aquatique.
Une fois sur place, les éléments sont assemblés dans les différents hangars installés sur le site. Sur le tarmac, des avions verts ou beiges (peinture anticorrosion) attendent d’être peints aux couleurs de la compagnie qui les a commandés avant de gagner leurs aéroports d’attache.
Des montagnes d’acier
L’A380 possède son propre bâtiment, construit en 2004. Baptisé « Hall Jean-Luc Lagardère », du nom de l’ancien capitaine d’industrie, à l’origine de la création de l’ex-EADS, il s’étend sur 10 hectares, une surface nécessaire pour construire plusieurs modèles à la fois du plus gros avion du monde (80 mètres de long pour 73 mètres de large). Le tonnage d’acier utilisé pour l’usine, édifiée autour d’une énorme arche métallique, est équivalent à celui fourni pour le viaduc de Millau, soit quatre fois le poids de la tour Eiffel.
Une nouvelle vie pour les A380 d’occasion
L’appareil est assemblé en un bloc, dans l’usine – seuls les moteurs sont montés dans un autre hangar. L’opération mobilise une soixantaine d’ingénieurs pendant un mois. Des rails sont disposés sur le sol pour faire rouler les énormes nacelles qui transportent les éléments de l’appareil. Une fois l’assemblage terminé, le « super jumbo » franchit une double porte coulissante de 100 mètres de long pour 27 mètres de haut pour sortir de l’usine. Alors qu’Airbus peine à vendre son bijou technologique, la cadence de production a toutefois ralenti et le hall Jean-Luc Lagardère peut accueillir d’autres modèles comme l’A350.
Airbusville
Le choix d’implanter l’usine à Toulouse s’est fait dès la création de la société, en 1969. C’est ici qu’était installé Sud-Aviation, l’ancêtre français de l’avionneur. Dès le début du XXe siècle, la ville rose s’est imposée comme le principal pôle aéronautique tricolore. L’industriel Latécoère s’y était établi avant la Première Guerre mondiale. Le Centre national d’études spatiales (CNES), Supaero (l’école d’ingénieurs aéronautiques), et l’Enac (la grande école de l’aviation française civile) ont déménagé à Toulouse au début des années 1960.
Depuis la sortie du tout premier modèle, l’A300B, en 1972, le site n’a cessé de grandir, accompagnant la croissance de la société et le lancement de nouvelles gammes d’appareils. Tant et si bien que le développement de l’entreprise est désormais lié à celui de la capitale occitane, aussi appelée « Airbusville » . L’avionneur est devenu un pilier de la vie économique locale, faisant travailler indirectement près d’un salarié sur cinq dans l’agglomération – et causant des embouteillages monstres aux heures de pointe. Nombreux sont les élus locaux, dans les communes alentour, à être d’anciens salariés de l’entreprise.
Fierté régionale, l’usine Airbus sert également d’étendard à toute l’industrie française. C’est devenu l’un des meilleurs arguments marketing pour vendre la France à l’étranger. Mais aussi pour démontrer les bienfaits de la construction européenne, de plus en plus remise en question au sein de l’Union.
Romain Gueugneau