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Le plomb est aujourd’hui dans le collimateur de l’UE qui souhaite restreindre son utilisation, et notamment dans la pêche de loisir. Nous avons interrogé Laurent Lécole, Directeur général de la fonderie Lemer, pour comprendre les enjeux qui se cachent derrière son interdiction
« L’interdiction du plomb de pêche est avant tout politique et dogmatique »
L’agence européenne des produits chimiques et l’Union européenne ont, depuis quelques années, manifesté la volonté de réduire l’usage du plomb dans notre loisir, comment percevez-vous cela ?
On met en avant le principe de précaution, qui est ici doublé de culpabilisation alors que pour rappel le plomb est inerte. C’est d’ailleurs ce point que je combats, avant de défendre le plomb de pêche.
Il y a ensuite des intérêts sous-jacents à cette volonté d’interdiction qui viennent redistribuer les cartes et impacter la pêche au détriment d’autres secteurs industriels qui, eux, consomment bien plus de plomb, à l’image de l’industrie de la batterie (85% de plomb dans une batterie), et par effet domino tous les secteurs qui en demandent, comme celui de l’automobile. l’ECHA a inscrit le plomb sur la liste candidate des substances à interdire en juin 2018.
Et aujourd’hui le principe se décline comme tel : on interdit la substance puis on fait des exceptions, en l’occurrence pour l’industrie automobile et la production de batteries. L’ECHA a, pour le moment, reculé du fait de la pression de cette industrie et en particulier des fabricants de batteries. Titiller par des lobbys verts, l’agence européenne s’est alors rabattue sur l’interdiction de certains usages du plomb comme dans la pêche, et la chasse.
Hélas, notre syndicat du plomb (A3M) ne se battra que peu pour nous, car ces deux loisirs sont de faibles consommateurs, environ 2 à 3% de la consommation mondiale, et il ne serait pas surprenant de voir la pêche sacrifier sur l’autel du marketing écologique.
Classé CMR (Cancérigène – Mutagène – Reprotoxique), le plomb n’est démontré que Reprotoxique et mortel à de haute dose (dérèglement du sang – sans doute > 1 000 µg/l pendant plusieurs années d’après la littérature…).
Par exemple, le sable (silice) et la poussière de bois sont cancérigènes au même titre que l’amiante. Les trois sont classés en tant que CMR, et pourtant on ne dit pas que le sable est cancérigène, ni le bois. Mais peu importe, la pression de restriction sur l’usage et la transformation du plomb se poursuit notamment par les pays d’Europe du Nord qui, rappelons-le, militent pour les batteries sans plomb. La Suède et l’Allemagne se sont déjà largement positionnées pour des projets de « gigafactories » pour batteries au Lithium-ion.
Si interdiction il y a, quelles seront les conséquences pour Lemer ?
Deux scénarios s’imposent à nous. Si le plomb venait à être totalement interdit pour tout le secteur pêche (professionnelle et loisir), cela représenterait une perte de 30% de notre chiffre d’affaires et la destruction de 25 emplois, soit la moitié de notre effectif.
Dans le cas d’une interdiction du plomb dans les gabarits inférieurs à 50 g et/ou de 2 cm de dimension maximale, Lemer perdrait 20% de son chiffre d’affaires et 40% de sa masse salariale, soit 20 employés.
Quelles sont vos alternatives, et quels impacts auront-elles pour le portefeuille des pêcheurs ?
Nous avons lancé une gamme à base d’étain bismuth avec Décathlon en l’an 2000 : tout a été retiré du marché en moins d’un an. Nous avons recommencé ensuite avec des boucles de plongée en zinc en 2013. Résultat, il nous en reste 4 000 kg d’invendus sur une tentative globale de 10 000 kg.
D’une façon générale nous pouvons proposer des alternatives au plomb, à l’image des plombs fendus en étain et pour les autres types d’accessoires avec du Zamak, un alliage composé de zinc, d’aluminium et de cuivre. Reste que ces alternatives demandent des investissements trop importants pour un marché spécifique, ne présentant donc aucune perspective de développement économique.
Si l’étain et le Zamak deviennent la norme – le premier étant 10 fois plus cher, et le second deux fois plus cher que le plomb – une hausse des prix sera inéluctable, et le portefeuille des pêcheurs en fera les frais. Sans compter les effets néfastes que ces restrictions engendreront, car actuellement le pêcheur, faiseur de plomb à domicile, est mon premier concurrent qui représente 20% du marché.
En somme, plus il y aura de la réglementation plus les prix seront chers (en plomb ou substitut) plus le pêcheur fera ses plombs ou lests de pêche lui-même, ce qui est interdit et sanctionnable, et moins il y aura de pêcheurs. C’est d’actualité, c’est le sport du déconfinement par excellence !
Donc selon vous il y aurait une lame de fond politico-idéologique anti plomb qui se mettrait en place ?
Au final, des minorités actives arrivent très bien à faire passer leurs idées (bonnes ou mauvaises) par le principe de précaution et de culpabilisation, voire par dogmatisme et répètent ces inlassables ritournelles, « vous ne pouvez-pas être contre plus de sécurité », « si le plomb de pêche ne va pas dans l’eau, il a moins de chance de polluer que si il y va… »
« Si les substituts au plomb deviennent la norme, une hausse des prix sera inéluctable, et le portefeuille des pêcheurs en fera les frais. Sans compter les effets néfastes que ces restrictions engendreront, car actuellement le pêcheur, faiseur de plomb à domicile, est mon premier concurrent qui représente 20% du marché. »