Les investissements promis par Europlasma à la Fonderie de Bretagne et aux Forges de Tarbes pour la production massive d’obus ne sont pas au rendez-vous. Les salariés s’inquiètent. Le cours d’Europlasma s’est effondré, soulevant un doute sur les pratiques troublantes de son partenaire financier, ABO, basé aux Bahamas. Le même mécanisme s’est produit pour de nombreuses autres entreprises françaises cotées, déclenchant la colère des petits investisseurs, qui ont tout perdu.
Ouest-France
Publié le
Mais que cherche donc Europlasma ? Cette PME cotée en Bourse a racheté une série d’entreprises en difficulté, dont la Fonderie de Bretagne (Morbihan) et les Forges de Tarbes (Hautes-Pyrénées)… tout en étant elle-même en déconfiture boursière et financière.
Elle a pourtant réussi à convaincre les ministères des Armées et de l’Industrie, ainsi que plusieurs tribunaux de commerce, qu’elle pouvait redresser ces entreprises, toutes en redressement judiciaire, notamment en les transformant pour produire les obus dont ont besoin les armées françaises ainsi que l’Ukraine.
Pourtant, Europlasma affiche de très lourdes pertes et son cours de Bourse ne vaut pratiquement plus rien. Ses petits actionnaires considèrent même qu’ils ont tout perdu des sommes investies. Mais Europlasma ne souhaite pas en rester là. Son PDG, Jérôme Garnache-Creuillot, est candidat à la reprise d’une nouvelle société métallurgique en situation précaire, Novasco, 760 salariés sur quatre sites dans le nord et l’est de la France (1).
Le tribunal de Strasbourg devait se prononcer la semaine dernière sur la reprise de Novasco mais a reporté sa décision à ce lundi 17 novembre. Coïncidence, ce même lundi 17 novembre, un comité de suivi se réunit pour examiner le cas de la Fonderie de Bretagne (Caudan, Morbihan), reprise le 1er mai 2025 par Europlasma, et où la diversification dans la production d’obus n’est pas suivie des contrats promis.
C’est que le mode de fonctionnement et de financement d’Europlasma pose de nombreuses questions. Elles sont directement liées au fonds d’investissement qui le soutient, Alpha Blue Ocean, basé aux Bahamas, à Dubaï, au Luxembourg, et aux Seychelles.
Ce dernier finance des dizaines d’entreprises cotées en Europe, via un système de prêts ouvrant droit à l’émission d’actions à prix cassé. Nombre d’entre elles ont vu leur valeur en bourse s’effondrer et sont aujourd’hui qualifiées d’entreprises « zombies » par leurs petits actionnaires. Ceci a déjà donné lieu à au moins deux condamnations par des autorités des marchés financiers, à plusieurs plaintes de petits porteurs et au moins deux enquêtes pénales en Europe.
La reprise, le 1er mai dernier, par Europlasma, de la Fonderie de Bretagne (FDB), à Caudan (Morbihan), ancien fleuron du groupe Renault, a d’abord créé un soulagement. Sur les 285 salariés, 266 étaient repris.
Seul candidat à la reprise, Europlasma présentait un plan de redressement alléchant. Ayant déjà dans son giron les Forges de Tarbes, seul fabricant français de corps creux d’obus, Europlasma a promis que dès 2025, cette activité représenterait 53 % du chiffre d’affaires de la fonderie de Caudan.
Europlasma avait fourni des lettres d’intention de potentiels partenaires, dont le groupe Thales. Europlasma s’engageait par ailleurs à investir 15 millions d’euros dans la Fonderie de Bretagne, grâce à un soutien de 20 millions du fonds ABO, un spécialiste du financement des entreprises en difficulté.
De son côté, Renault (ancien propriétaire et unique client de la fonderie) promettait de débloquer jusqu’à 25 millions tandis que les pouvoirs publics s’engageaient à verser 18,8 millions. Le tribunal de commerce de Rennes avait certes pointé « les incertitudes qui entourent le modèle de financement d’Europlasma ».
Les représentants des salariés, au sein du conseil social et économique (CSE) auraient préféré un repreneur « pérenne », ne recourant pas au système des obligations convertibles présenté par Europlasma. Mais, faute de mieux, ils ont tout de même donné un avis favorable. La procureure de la République a, elle, émis un avis négatif, en raison de ce mode de financement. Le juge-commissaire, pour sa part, a donné un avis favorable, en raison du projet industriel. C’est cette vision qui l’a emporté et a permis à Europlasma de mettre la main sur la fonderie morbihannaise.
Le soulagement est cependant de courte durée et un flot de questions saisit les salariés et certains élus, qui ont alerté en octobre sur le profil du repreneur.
Les élus CGT et CFE-CGC de FDB ont lancé un droit d’alerte économique le 23 octobre, après la révocation de l’ancien directeur, Jérôme Dupont. « On devait faire 250 000 obus en 2025, on en a fait zéro, dénonce Maël Le Goff, délégué CGT. On devait réaliser 42 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le business-plan remis au tribunal de commerce, on n’en est qu’à 15 millions. Jérôme Dupont a dû poser les mêmes questions à Monsieur Garnache-Creuillot (PDG d’Europlasma). Et ce dernier a mis fin à son contrat pour manque de confiance. »
Mais de ce que Jérôme Garnache-Creuillot a présenté au tribunal de commerce pour l’instant, « il n’y a rien, » assure Maël Le Goff.

