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À Lavau, un prince qui n’a pas fini de nous surprendre
Recherche archéologique. Bastien Dubuis finalise sa thèse de doctorat sur le contexte celtique régional tandis que le 1er volume du PCR qu’il dirige (Projet collectif de recherches sur Lavau), est à paraître. L’archéologue lève quelques faits saillants d’une décennie de recherche.
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Un territoire référence. Entre le sud Marnais et le nord de la Côte-d’Or, on compte quelque 5000 structures funéraires qui se concentrent majoritairement dans les vallées de la Seine et de l’Aube, selon les fouilles archéologiques, la photographie aérienne et les ressources de l’IGN. Une densité énorme. Beaucoup ont été reconnues par la photographie aérienne mais n’ont pas été fouillées à ce jour. D’autres ont été anéanties avant la création de l’archéologie préventive comme un grand monument – un tumulus de 40 m de diamètre – localisé entre Vanne et Sainte-Maure.
C’est sur photographie aérienne qu’à la fin des années soixante, Jean Bienaimé a fait sanctuariser le site du Moutot (ou « petit mont »), à Lavau : le site de la tombe princière du même nom.
Le tumulus de Lavau. Situé sur les coteaux qui dominent la vallée de la Seine, le tumulus princier occupe un site funéraire plus large né au XIIe siècle avant notre ère (Âge du Bronze) et encore utilisé à l’Antiquité. Posé sur le socle de craie, le tumulus lui-même était constitué de terre végétale prise aux terres « agricoles » sur à 3 ou 4 hectares aux alentours, souligne l’archéologue. Situé dans un paysage marqué, la position dominante du tumulus du prince de Lavau fait un monument visible de très loin.
Une architecture conservée. Le tumulus est au centre d’une structure rectangulaire (espace funéraire du prince) accolée et liée à une autre, plus vaste, qui recèle trois tumulus secondaires (des ancêtres revendiqués). Au moment de la fouille, le tertre mesurait encore 60 cm (contre 6 à 8 mètres initialement), constate Bastien Dubuis. La chambre funéraire est conservée en élévation jusqu’à conserver la trace des trois poutres de chêne qui constituaient son plafond. En s’effondrant, la poutre centrale est tombée sur le corps, le char qui le portait, bousculant le mobilier soigneusement disposé à l’issue de la cérémonie.
La documentation. Le site de Lavau est documenté par quelque 16 000 photos, des relevés photogrammétriques et stratigraphiques, un scanner 3D, un mobilier important et de très nombreux prélèvements. En 1953, à Vix, les fouilles réalisées en trois jours (hors terrassements préalables) n’ont laissé que quelques photos, un plan dressé de mémoire et un mobilier partiellement recueilli et restauré sans certitude scientifique. En 2019, la seconde fouille du site de Vix a permis à Bastien Dubuis de conserver les 70 m de remblais qui comblaient la fosse. Tamisés, ils ont livré plus de 2000 vestiges supplémentaires. Outre le fragment manquant de la frise du cratère, des fibules dont une ornée d’or, d’autres en bronze et corail, un élégant petit accessoire de toilette en fer, ambre et or, de nombreux éléments attribuables au char à quatre roues de la dame, comme des clous décoratifs, etc.
Des sites presque contemporains. Cette seconde fouille de Vix (2019) a infléchi la date d’inhumation de la princesse de Vix généralement admise (500 av. notre ère) pour la porter vers 475 av. Le prince de Lavau a été inhumé vers 450 av. S’ils ne sont pas parents (leurs ADN l’atteste), ils sont presque contemporains et ont pu se connaître. La dame est morte jeune et le prince, entre 30 et 50 ans.
Deux ancêtres d’Italie du nord ? Deux autres sujets inhumés au VIIe siècle avant notre ère. Le « porteur d’épée » est le père de la femme dont les restes ont été placés dans un nouveau tumulus, lors de l’édification du complexe princier. En revanche, leur ADN étudié par Céline Bon et Sophie Lafosse (Musée national d’histoire naturelle) trouve un écho dans les populations de l’Italie du Nord actuelle et non en Champagne : les ancêtres du prince seraient-ils des commerçants, des voyageurs transalpins ?
Des artisans de cour itinérants. Lavau a mis en évidence à côté du mobilier importé, l’existence d’artisans « de grande valeur, qui voyagent sans doute dans toute l’Europe ». Ils ont le talent d’adapter ces objets importés au goût du prince. Le pied d’or de l’œnochoé en est un exemple. Le pied du gobelet à boire en est un autre. Cet atelier maîtrise le vocabulaire décoratif des Grecs ou des Étrusques et travaille les matériaux les plus divers. Or, argent, bronze, fer, bois, cuir, tissu… et mieux encore en objets souvent composites. Comme le cuir décoré de fins motifs filigranés d’argent de la ceinture.
Un prince fringant. Mort entre 35 et 50 ans, d’une taille d’1,75 m, le prince de Lavau était dans une remarquable condition physique, observe l’archéologue.
Un seul indice d’infection parasitaire et pas une carie ! Sa dentition est « plus saine que celle de 90 % de la population actuelle ». C’est le fruit d’une alimentation saine et d’évidence privilégiée. De l’exercice physique peut-être aussi. Une fracture de la clavicule (caractéristique des bobos habituels au cycliste) témoigne d’une chute de cheval ou de char. Ressoudée sans réduction, cette clavicule a sans aucun doute gâté sa silhouette, son port et sa démarche.
Enterré à la belle saison. On le savait déjà, la chimie des dépôts intérieurs du chaudron a livré des substances propres à la fermentation du vin rouge, augmentées de miel (cire d’abeille) et d’aromates (pollens) mode de consommation emprunté par les Celtes aux Grecs dans le cadre du banquet (le symposium). Mais pas seulement… Une araignée, des pupes d’insectes, une libellule, etc. donnent une idée de la période de son inhumation.
Ailleurs, des pollens d’armoise (plante utilisée notamment dans le processus de momification) laissent un indice du traitement de son corps. Quant au sol intact, autour de la chambre funéraire, il montre que les sujets du prince se sont massés au bord de la tombe pour le contempler, allongé sur son char à deux roues non démonté, entouré de son riche mobilier, dans une chambre funéraire sans doute tendue de cuir ou de tissu…