opinion de Jean-Hervé Lorenzi (chroniqueur | président du Cercle des économistes) parue dans les Echos –
La désindustrialisation qu’a connue la France ces dernières années n’est pas une fatalité. Plus que le coût du travail, si souvent évoqué, c’est aussi une question de culture et d’intérêt pour les métiers scientifiques et technologiques avec laquelle il nous faut renouer, écrit l’économiste Jean-Hervé Lorenzi.
Une chaîne d’assemblage à l’usine Renault de Flins, mai 2020.
Le bilan de la désindustrialisation française est bien connu, il est tout simplement désastreux : la part de l’industrie dans le PIB représente à peine 10 % et le taux d’investissement dans l’industrie manufacturière est de 13 %, soit le plus faible de l’ensemble des branches.
Mais rien ne nous interdit d’être optimiste car au fond, bien au-delà du coût de la main-d’oeuvre, si souvent évoqué comme raison principale de cette évolution si spécifique à notre pays, nous sommes confrontés à un problème politique et culturel et c’est évidemment sur ce terrain qu’il faut notamment se situer.
Accélération technologique
Plusieurs changements me paraissent fondamentaux pour rompre avec une vingtaine d’années de désintérêt. Tout d’abord, il nous faut nous débarrasser de cette vision si ancrée dans les esprits que nous pourrions devenir essentiellement une société de services, notamment touristiques. Bien entendu, il faut d’abord s’appuyer sur la volonté affichée par Thierry Breton de lancer au niveau européen des grands programmes de développement industriel.
Interview : « Les six mois qui viennent seront décisifs pour l’industrie française »
Il y a une véritable opportunité de reprendre la main car tout est possible dans des phases d’accélération technologique. On pense évidemment à l’intelligence artificielle qui n’en est qu’à ses balbutiements et pour laquelle nous disposons en Europe de suffisamment de moyens financiers et de grandes compétences.
Relocalisation
En France, il faut décidément distinguer les rôles de chacun, l’Etat d’un côté, les écosystèmes -c’est-à-dire les territoires et les pôles de compétitivité – de l’autre. A l’Etat, le rôle essentiel d’impulsion de définition des grandes lignes et de mobilisation de l’épargne privée vers l’investissement. Ceci suppose de sa part des mécanismes nouveaux de garanties face aux risques pris par les épargnants. La relocalisation elle-même est psychologiquement importante, mais sera vraisemblablement assez modeste.
En revanche, la principale décision publique doit être celle de rejoindre nos principaux partenaires européens en pourcentage de recherche et développement, c’est-à-dire passer des 2,2 % actuels pour aller à 3 %. Les projets réels doivent être, eux, conçus et mis en oeuvre à partir des territoires et des pôles de compétitivité. Regarder la carte des pôles de compétitivité, c’est avoir une vision précise de la géographie industrielle de notre pays. Et cela concerne un grand nombre de secteurs, de la microélectronique, la robotique, l’imagerie médicale aux nouveaux matériaux en passant par l’agroalimentaire, les énergies de la mer et la porcelaine.
Renouer avec la culture scientifique
Les choix de projets de réindustrialisation doivent se faire à partir de quatre critères simples : partir de compétences existantes, mais encore insuffisamment développées ; s’appuyer sur des marchés affirmés aux niveaux français et européen ; mobiliser un ensemble de technologies numériques mais également mécaniques, chimiques… ; et évidemment se développer en partenariat étroit avec des institutions de recherche comme le CEA, l’Inserm et le CNRS.
Enfin, et c’est peut-être l’axe le plus important, si l’on veut stopper le déclassement de la France, retrouver une industrie forte et l’ancrer dans le long terme, il nous faut renouer avec une culture scientifique et technologique. Cela passe par une revalorisation de nos métiers industriels et techniques et par une réforme de l’éducation pour mieux préparer les générations à venir à acquérir les compétences de la réindustrialisation.
C’est à une véritable révolution cultuelle qu’il faut procéder pour parvenir à réindustrialiser la France, mais au fond tout cela est du domaine du possible, si nous retrouvons l’envie de produire.